Dienstag, 27. November 2012

LES OTAGES DE L’OMERTA


Andre menras
Pékin accélère sa stratégie d’expansion sur les espaces maritimes et insulaires voisins. Le Vietnam est la principale victime de cette situation. Décryptage.
Ces trois dernières années, Pékin a accéléré sa stratégie d’expansion sur les espaces maritimes et insulaires avoisinants. Japon, Corée du Sud, Philippines, Vietnam ont subi de violents assauts.
Mais le Vietnam est sans conteste la principale victime de cette sinisation forcée. Il a déjà perdu un de ses archipels et une partie de l’autre. (1) A chaque empiètement chinois, dans cette situation de danger national, les autorités d’Ha Noi, tout en émettant publiquement de fermes protestations, restent concrètement sans réaction défensive. Au contraire, l’opinion internationale assiste à un insolite ballet politico-diplomatique de type sado-maso entre les deux capitales : après chaque nouveau mauvais coup chinois, des citoyens de Saigon et d’Ha Noi protestent, descendent dans la rue malgré l’interdiction. Coups de matraque, arrestations, emprisonnements.


Une nouvelle agression chinoise
Quelques jours plus tard un envoyé de l’Etat ou un haut responsable du parti communiste vietnamien s’empresse d’aller à Pékin rassurer les camarades du parti frère, promet publiquement de mettre fin aux manifestations et réaffirme l’ « amitié indéfectible et la coopération totale entre les deux partis frères et les deux pays ». Et c’est reparti pour une nouvelle agression chinoise. Pour les patriotes vietnamiens c’est un véritable cauchemar. Certains parlent d’inféodation, d’autres de satellisation, d’autres encore de trahison.
La blessure la plus vivante et certainement la plus parlante de cette tragédie est le sort subi quotidiennement par les pêcheurs otages du centre du Vietnam qui doivent gagner leur vie dans les zones archipélagiques sous occupation chinoise, revendiquées par leur pays.
Une chronologie précise bien qu’incomplète des agressions chinoises subvenues dans la cette région des Paracels a été établie. Les sources de ce document sont des plus objectives : rapport de gardes-côtes, articles de journaux officiels, témoignages des victimes. Il atteste que, durant les dix dernières années, près de 1400 pêcheurs vietnamiens ont dû subir les affres de la virile amitié chinoise. Les noms des victimes, les dates, les numéros d’immatriculation des chalutiers arraisonnés, coulés ou confisqués , les procès-verbaux rédigés en chinois portant le cachet officiel des autorités, les documents mentionnant le versement par les familles des captifs d’énormes rançons aux banques chinoises contre libération de leurs proches : tout est accessible et vérifiable.
Certains pêcheurs ont été tués par balles, d’autres ont disparu, éperonnés de nuit, d’autres encore ont disparu pendant des tempêtes, à proximité des îles dont l’occupant leur refuse l’accès pour s’abriter. Tous ceux qui ont été arrêtés ont été physiquement malmenés, certains sévèrement tabassés. Les derniers en date ont connu les décharges de la matraque électrique. En ces dix années, quatre cent treize d’entre eux ont, en ma connaissance, connu la détention dans l’île de Phu Lam, de plusieurs jours jusqu’à quelques mois.

De véritables prisonniers de guerre
Ils décrivent tous le même scénario : les yeux bandés et menottés jusqu’à cette même geôle de 40 m2, au sol de ciment et au toit en fibrociment. En avril 2012, 21 pêcheurs y ont été entassés pendant 49 jours. Chaleur étouffante. La faim au ventre au point de grignoter des feuilles de bananiers accessibles à travers les barreaux. Rationnement de l’eau. Fosse d’aisance pestilentielle. Nuées de moustiques au point qu’il faille se couvrir le visage avec ses vêtements pour essayer de trouver le sommeil. Poussées de malaria et autres maux intestinaux dues à l’eau et la mauvaise qualité du bol de riz biquotidien. Les témoignages soigneusement enregistrés se recoupent quasi parfaitement : ces paisibles travailleurs de la mer sont traités en véritables prisonniers de guerre. Le film documentaire « Hoang Sa Vietnam : la meurtrissure » que j’ai réalisé il y a un moins d’un an sur l’île de Ly Son d’où partent certains pêcheurs, leur donne la parole ainsi qu’aux veuves des disparus.
Mais ces documents semblent beaucoup déranger le monde de la diplomatie, du business et même de la presse internationale.
Le film est empêché de projection au Vietnam. A Montpellier, la salle des relations internationales lui a été refusée. A Leizig, un journaliste local nous a officieusement confié que ce sujet était délicat à aborder au moment où les usines BMW et Porsche de la ville font de juteuses affaires en Chine. Il a fallu beaucoup de solidarité militante pour organiser des projections dans 5 villes françaises, 7 grandes villes allemandes, en Tchéquie, en Pologne… Heureusement, Youtube nous a ouvert de larges portes : plus de quatre cent soixante mille visiteurs sur les différents sites qui ont relayé le film dans ses versions française, vietnamienne et japonaise. Aucun journal n’a jusqu’ici parlé concrètement du sort de ces pêcheurs et de leurs familles. Seul un article général de l’AFP, un hebdomadaire Philippin le « Midi libre » et surtout «La Marseillaise» nous ont ouvert un espace de parole pour tenter de briser l’Omerta.

Manifestation pour le droit  à la vie, à la dignité, au travail

Assez paradoxalement, malgré la consistance du dossier sur les détentions, silence d’organisations telles qu’« Amnesty International » ou « Human rigths Watch » pourtant si pointilleuses dès qu’il s’agit des droits de l’Homme…Aucune conférence internationale n’a laissé le moindre petit espace aux pêcheurs pour témoigner.
A Munich, le 20 octobre, j’ai manifesté pour leur droit à la vie, à la dignité et au travail, pour le droit souverain des peuples, contre l’expansionnisme chinois, aux côtés de citoyens vietnamiens et de leurs amis allemands de toutes opinions, de toutes couches sociales, sans étiquette ni drapeau. Comme un message fort dans cette ville où en 1938, la capitulation honteuse a ouvert la voie européenne à l’expansionnisme hitlérien. Il est des situations où le silence est synonyme de lâcheté. Lâcheté qu’il faudra, un jour ou l’autre, payer dans un monde devenu si petit.